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Vous évoquez le respect de la territorialité des langues, que cela implique-t-il ?
Dans l’enquête sociolinguistique TMO-Région de 2018, il est indiqué que 82% des brittophones habitent en Basse-Bretagne, et que 90% des gallophones habitent en Haute-Bretagne. Cette pluralité linguistique bien identifiée en Bretagne existe depuis le Moyen-Age. Elle perdure aujourd’hui sur ces deux territoires distincts, avec des pratiques culturelles spécifiques dans de nombreux domaines. Cette dualité se retrouve jusque dans des exemples et des symboles caractéristiques de la Bretagne contemporaine (notamment le Gwenn Ha Du) ! Cette territorialité est donc un fait, qui doit être reconnu dans le cadre des droits culturels et linguistiques en vigueur, en conformité avec l’article 103 de la loi NOTRe de 2015.
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Cela signifie-t-il que vous ne voulez pas de breton en Haute-Bretagne ?
Concernant la transmission des langues : nous ne sommes pas contre l’apprentissage du breton en Haute-Bretagne, au contraire, nous l’écrivons d’ailleurs dans notre manifeste :
« Nous pensons que le développement de la pratique du gallo et du breton est à encourager partout en Bretagne, indépendamment de la frontière linguistique, et que les deux langues ont évidemment droit de cité partout dans la région. »
Nous voulons surtout du gallo visible en Haute-Bretagne, dans un souci de cohérence territoriale.
Comment expliquer à un maire d’une commune que la signalétique bilingue Français-Gallo votée par son conseil municipal, parfois dans le cadre de la signature de la charte du gallo soutenue par la Région, n'est pas en adéquation avec le standard bilingue Français-Breton défini dans le cadre de la convention État-Région? Comment expliquer à la population que le nom en gallo qu’ils utilisent n'a pas à être affiché sur des panneaux prenant en compte la visibilité des langues régionales en pays gallo ?
Quelle cohérence avec un soutien des collectivités pour l’enseignement, la formation et la terminologie en gallo sur des territoires de Haute-Bretagne, ainsi qu’à la création d’un Institut dédié, alors que le gallo est absent de la signalétique routière sur le réseau, malgré la mise en place récente d’un bilinguisme français-breton généralisé qui a été négocié entre la Région et l’État ? -
Dans quel cas la présence du breton sur les panneaux en Haute-Bretagne vous semble-t-elle pertinente (ou pas) ?
Concernant la signalétique au sein des agglomérations, cette décision appartient aux communes. Dans le cadre de projets visant à développer les langues de Bretagne sur les territoires, il nous parait inopportun de ne pas afficher la langue régionale utilisée très majoritairement par les habitants…
Concernant le jalonnement bilingue sur le réseau routier breton, il est nécessaire de respecter la territorialité des langues et les droits culturels dans l’élaboration des politiques linguistiques en Bretagne. La nouvelle convention Etat-Région acte l’absence totale de gallo dans la mise en place du jalonnement bilingue. L’avis voté unanimement le 10 février 2023 par le Conseil Culturel de Bretagne, assemblée consultative du Conseil Régional de Bretagne, indiquait pourtant en amont de la validation de la convention spécifique pour la transmission des langues de Bretagne : « Un point de vigilance à observer concerne également l’absence d’engagement au sujet du jalonnement bilingue incluant le gallo, notamment dans les programmes de travaux concernant la voirie nationale. Nous souhaitons une réflexion sur la présence du gallo dans l'espace public qui devrait être intégrée dans tout projet de communication ou de signalétique bilingue ou trilingue en Haute-Bretagne. »
Cet avis n’a pas été pris en compte. Le gallo et le breton ont pourtant été reconnus à l’unanimité comme « langues de Bretagne » par le Conseil Régional de Bretagne depuis 2004 (il y a désormais près de 20 ans !).
La Région Bretagne n’est d’ailleurs pas la seule collectivité concernée par ce sujet : les départements et les grandes agglomérations doivent également prendre en compte le respect des usages linguistiques et toponymiques sur leurs territoires. Par exemple : le pays de Rennes, qui représente près de la moitié des habitants d’Ille-et-Vilaine, compte à lui seul 20% des locuteurs de la langue gallèse sur l’ensemble de la Bretagne. Quelques phrases en gallo apparaissent dans la ligne n°2 du métro sur des panneaux « culturels », mais les demandes de signalétique dans la langue régionale la plus utilisée à Rennes, le gallo, ont essuyé un refus de la collectivité, malgré des propositions de réflexions sur un affichage incluant conjointement le breton et le gallo. -
En parlant d’iniquité, vous suggérez une politique de « rattrapage en faveur du gallo ».
Ne craignez-vous pas que votre action puisse attiser les tensions entre acteurs du breton et du gallo ?C’est la situation que nous déplorons dans ce manifeste qui risque de créer des tensions : l’absence de gallo sur le réseau routier breton en pays gallo. Notre action est d’ailleurs soutenue par de nombreux acteurs de la langue bretonne, conscients comme nous que la sauvegarde des langues de Bretagne ne mérite pas de perdre du temps sur des querelles qui n’ont plus lieu d’être, et que la sauvegarde des langues ne peut s’exonérer d’une coopération des acteurs engagés pour la transmission des langues de Bretagne. Nous pensons également que la concertation avec les habitants et les élus des territoires est indispensable, en respectant les spécificités linguistiques et les usages toponymiques en langues régionales avérés par la population.
Concernant l’iniquité, elle n’est pas uniquement d’ordre financière. Nous ne souhaitons pas un phénomène de vases communicants pour l’attribution des aides publiques destinées aux deux langues.
Cependant, les financements doivent être adaptés aux situations respectives des deux langues de Bretagne. Nous ne réclamons pas un budget identique pour le breton et pour le gallo, car les situations sont différentes, notamment sur le sujet de l’enseignement. Pour la signalétique, des fonds complémentaires devraient être octroyés pour combler le retard de visibilité accentué par une grande méconnaissance de l’existence même du gallo par les habitants : 40% des bretons méconnaissent l’existence du gallo ! Afin de prendre en compte ces données issues de l’enquête TMO 2018, la question de la toponymie, de la signalétique et du jalonnement bilingue devrait être un sujet prioritairement pris en compte par les collectivités dans le cadre des politiques publiques dédiées à la promotion de la langue gallèse. -
Quel est l’intérêt de valoriser le Gallo aujourd’hui ?
Le gallo est une chance : si on associe le nombre de locuteurs des deux langues de Bretagne, nous recensons environ 400 000 habitants ! Mais ce nombre va baisser significativement au cours de la prochaine décennie. Les acteurs des deux langues devraient davantage associer leurs forces. Le gallo a également bénéficié d’une transmission familiale qui a perduré jusqu’à récemment, il n’a donc pas disparu des familles, mais il est temps de le rendre visible dans la vie publique des bretonnes et des bretons.
Valoriser le gallo, c’est également valoriser les bretons de Haute-Bretagne qui se sentent parfois considérés comme « moins bretons que ceux de Basse-Bretagne », alors qu’ils sont les détenteurs d’une identité romane de la Bretagne qui existe depuis le Ve siècle. Valoriser le gallo, c’est faire connaitre la Bretagne dans son intégralité, et respecter la culture de l’ensemble de ses habitants. -
Quelles suites allez-vous donner à ce manifeste ?
Dans la continuité de la cosignature de ce manifeste par plus de 400 personnalités signataires et 100 associations, le collectif « Du Gallo en Bertègn » ira à la rencontre des représentants de la Région Bretagne, des départements bretons et des collectivités locales afin de sensibiliser les élus et les acteurs des territoires pour valoriser la langue et favoriser sa visibilité dans la vie publique.
Des projets de travaux et d’actions communes avec des acteurs de la langue bretonne (très nombreux parmi les signataires du manifeste !) sont également en cours de réflexion…